Aujourd’hui, on est là pour dire au revoir à un être qui, pour beaucoup de personnes qui l’ont connu, peut être qualifié, sans exagération, de merveilleux. Il était tour à tour conteur, musicien, psychologue, pepsicologue et anisetologue. Mais il était avant tout un ami, un frère, un oncle, un père et un grand-père très aimé.
Papi était quelqu’un au caractère bien trempé, tout en étant sensible, taquin et plein de malice. Sa grand-mère le surnommait le terrible ou le voyou en espagnol. L’amitié était pour lui une valeur fondamentale, renforcée par sa longue et riche expérience de Scout. Il était un grand aventurier. Rappelez-vous qu’il était parti faire le tour de France en auto-stop à même pas 20 ans et que, fauché, il avait réussi à se payer la suite de son voyage en jouant de la guitare sur les places publiques.
S’il était merveilleux, il était aussi mer-veilleur. Comme le dit Frédéric, son filleul, dans un message qui nous a touché : « il était un véritable amoureux de la mer. Sur ses voiliers, il nous emmenait voguer au gré des vents. Chaque sortie en mer était une aventure. […] Aujourd’hui, la mer semble un peu plus calme, mais son rire et ses chansons résonneront toujours dans nos cœurs ».
C’est dire qu’il avait un talent unique : celui de nous faire rire et rêver, même quand la réalité était loin être simple. En véritable poète de la vie, formule que j’emprunte à l’un d’entre nous, il trouvait toujours une manière de rendre chaque instant un peu plus magique.
Un jour, j’ai dit à Baptiste, mon conjoint, que l’on devient un peu ce que l’on a envie d’être quand on ressemble aux gens qu’on admire. En disant cela, je pensais fortement à papi. Mais papi était tellement exceptionnel, que j’ai encore quelques années de navigation devant moi pour lui ressembler ne serait-ce qu’un peu.
Il avait ce don pour broder des histoires à partir de la réalité grâce à un imaginaire foisonnant. Comme ce jour où il m’a convaincue que ma petite sœur, bien au chaud dans le ventre de maman, n’était pas un bébé… mais un vélo ! Oui, un vélo ! Vous imaginez ? Je l’ai cru, dur comme fer.
Et c’est moi qu’on qualifie de naïve ^^ !!!
Ou encore, cette fois où il nous a fait croire qu’il était gendarme. Il nous a même emmenées "au poste", et pour sceller le tout, il nous a photocopié les mains, en prétendant prendre nos empreintes digitales. Moi, j’ai marché dedans jusqu’à la fin de l’école primaire !
Et Jade jusqu’à ses 15 ans je crois ^^ !
Bravo Papi, t’étais un sacré blagueur/loustic !
Vous savez, il se faisait passer pour un gendarme simplement auprès de ses petites filles. Alors il n’imaginait pas que, piégé par son propre jeu, on lui demanderait de venir présenter son métier devant toute une classe d’élèves ! Un jour, à la cour de récrée, alors que chacun vantait ce que faisait son père, ne comprenant pas très bien ce que faisait le mien (chercheur au CNES), j’ai parlé fièrement de mon grand-père dont je comprenais un peu mieux le métier grâce aux empreintes à la photocopieuse. Je leur ai dit : « Ben moi, mon papi, il est gendarme et il joue du violon ! ». Les copains, impressionnés, sont allés le répéter à la maîtresse qui a eu l’idée d’inviter papi à parler de son métier de gendarme. Devinez quoi ? Il a joué le jeu. Avec beaucoup de « tactique dans la pratique », il a parlé de ce que les gens-disent sur les gendarmes ! A la la, « la tac-à-tac-à-tique du gendarme, c’est d’être toujours là, quand on ne l’attend pas ».
Papi, ce n’était pas le genre à nous préparer des boulettes d’Oran. Non, lui, il nous embarquait dans des aventures à la Peter Pan. Comme ces longues balades en bateau sur l’étang du Barcarès.
Et puis, il y a eu cette fameuse chasse au trésor. Un jour, on est partis tous les deux en bateau jusqu’à cette île mystérieuse sur l’étang de Leucate. On avait préparé un coffre avec de vieilles pièces, des pièces étrangères, un stylo et un petit mot. On a tout enterré avec soin, dessiné une carte au trésor digne des plus grands pirates, et on était prêts à y retourner l’année suivante avec les petits. Mais bien sûr, l’île avait changé. Papi a dû faire plusieurs allers-retours pour retrouver notre trésor, tout rouillé avant de le cacher de nouveau. Les petits, eux, pensaient que c’était encore une de ses farces… mais pour moi, ce trésor, c’était bien réel.
Il a eu une longue et belle vie... non pas de 90 ans, mais de plusieurs millénaires ! Ce qu’il faut savoir, c’est que je suis la petite-fille de l’homme de cro-magnon. Quand j’étais petite, je le trouvais déjà très vieux. Je lui ai demandé un jour, alors qu’il devait avoir 60 ans à peine, s’il y avait des dinosaures quand il était petit. Et bien sûr, sans hésiter, il m’a répondu que oui ! À partir de là, il a brodé toute une histoire et m’a raconté ses péripéties à travers les époques. Je me souviens particulièrement de son récit où il rencontrait Louis XVI qui lui avait confié être en difficulté avec des gens qui voulaient manger du poulet comme lui, et non plus de maigres morceaux de pain. Apparemment, ça a fini par barder, vers les 1789 et papi, comme d’autres, ont pu manger du poulet !
Si vous doutez du fait qu’il y avait des dinosaures quand il était petit, allez voir par vous-même au musée préhistorique de Tautavel, vous y trouverez sa statue. Il nous disait, très fier, que les archéologues l’avaient érigée en son honneur. Hormis le fait qu’il ne se tenait pas très droit à l’époque des dinosaures, je trouvais qu’il n’avait pas trop changé depuis. Je pense que je retournerai un jour à Tautavel, juste pour "revoir" Papi, cet homme de Cro, cet homme de Ma, cet homme de gnon, cet homme de Cro-magnon, pompom (sur un air chanté).
Papi m’a appris tant de choses essentielles, sur la relation aux autres par exemple. Il avait ce don de me faire confiance et de me pousser à croire en moi. Il m’avait même offert un "carnet d’étonnements" pour m’apprendre à m’émerveiller des petites choses.
Un peu comme ce qu’il a fait avec Madeleine d’ailleurs. Madeleine, la sœur de la sirène qu’il avait pêchée en Algérie avant de l’épouser. Madeleine occupait le poste « extraordinaire », selon ses dires, de dame-pipi. Comme Madeleine avait honte de son travail, elle qui avait coiffé dans sa jeunesse les grandes stars de l’époque, il lui avait proposé de prendre le stylo pour noter « les choses bizarres, étranges, insolites » qui se produisaient dans les toilettes des champs Élysées. Il lui aurait dit : « Pas la peine de partir au fin fond de l’Amazonie pour étudier l’humanité ! Je vais vous dire Madeleine : vous avez un poste d’observation que nombre de sociologues ou de psychologues pourraient vous envier ». D’un coup de baguette magique, il lui redonnait sa dignité et rendait son travail intriguant. Pour Madeleine comme pour d’autres, l’un des principaux enseignements que papi nous a transmis est que peu importe que l’on soit psychologue du travail, gendarme qui rit à la gendarmerie, ou même dame-pipi, il y a toujours une manière de rendre son travail – et sa vie – ludique. Il nous a montré comment décaler notre regard, voir le comique dans les situations les plus tristes, et nourrir notre imagination… Mais c’est pas tout, mais c’est pas tout (sur l’air de la Tactique du gendarme) !
Il m’a aussi initiée aux tests psy – et ces techniques, je les ai tellement intégrées que, lorsque j’ai passé mon certificat de PNL, j’avais l’impression de connaître déjà une bonne partie de ce qu’on m’enseignait. C’était comme si tout ce qu’on avait partagé ensemble revenait à la surface.
Il nous a aussi appris que faire de la musique, ce n’est pas seulement une question de technique ou de prouesse artistique. Non, pour Papi, la musique, c’était avant tout un moment de partage, de convivialité, un prétexte pour créer une ambiance de fête. Et ça, c’est quelque chose qui restera ancré dans nos mémoires. La musique et puis aussi l’importance de prendre soin de sa clientèle pour des consultations apéritives réussies autour d’une bonne anisette !
Dans ses dernières années, avec l’âge, il a été contraint de réduire drastiquement ses sorties et évènements festifs. Les déplacements sont devenus plus compliqués, la fatigue plus présente. Il a vécu isolé chez lui, mais même dans ce repli, il est resté fidèle à lui-même : vif d’esprit et curieux. Il n’a jamais cessé de lire, d’apprendre. C’est cette richesse intérieure qui l’a accompagné jusqu’au bout, comme une force qui lui permettait de continuer à vivre pleinement, à sa manière. Et bien sûr, il ne faut pas oublier ses mots croisés, une autre forme de gymnastique mentale qu’il pratiquait avec un sérieux inébranlable et jusqu’à la fin.
Papi avait un caractère bien trempé. Ilse montrait parfois colérique et il préférait l’anisette à un bon verre de rouge. Personne n’est parfait. Ceci dit, il nous a appris à rire, à rêver, et à voir le monde avec des yeux d’enfants. Il a fait de moi, de nous, ce que nous sommes aujourd’hui.
Alors oui, aujourd’hui, on est tristes. Mais on ne peut s’empêcher de sourire en pensant à toutes ces aventures, à toutes ces histoires et à ses plus beaux délires imaginaires. Il était, et restera toujours, un « inoubliable poète de la vie ». Cette poésie qu’il a insufflée dans nos vies, c’est le plus beau trésor qu’il nous laisse.